Shabour, l’exception étoilée signée Assaf Granit

Il y a des dîners qui suspendent le temps. Des soirs où l’on oublie Paris, où l’on part ailleurs, très loin, sans même bouger de sa chaise. La semaine dernière, c’est ce qui m’est arrivé chez Shabour, adresse sœur de Tekés, et première table française du chef israélien Assaf Granit à avoir été étoilée. L’enthousiasme était grand à l’idée de découvrir cette adresse dont je connaissais la réputation.

En poussant la porte du 19 rue Saint-Sauveur, on entre dans un écrin brut et feutré, baigné d’une lumière douce, presque confidentielle. Les murs sombres, les matériaux bruts, les bougies, et surtout cette cuisine ouverte autour de laquelle les convives s’attablent en cercle : tout ici annonce une autre manière de vivre le repas. Pas de salle et de service figé, mais une ambiance de comptoir chic, une scène vivante où la brigade s’active autour de vous. On ne dîne pas chez Shabour, on participe à un rituel.

Dès les amuse-bouches, on comprend que la soirée sera placée sous le signe de l’audace. Une mousse de roquefort vient titiller le palais, contrastée par un crumble de jachnun — cette viennoiserie feuilletée typique du Yémen — et un pesto wakame aussi inattendu que bluffant. La première bouchée m’a littéralement stoppée : le ton était donné, chaque plat serait un terrain de jeu sensoriel !

La suite m’a emmenée en Méditerranée orientale, avec une feuille de vigne farcie au falafel, surplombée d’un délicat tourteau, relevée par une huile verte au fenouil. Puis arrive une demi-queue de homard marinée au yuzu, servie avec un tzatziki vibrant, une crème d’oseille subtile et un beurre de homard puissant : un plat complexe, équilibré, et surtout délicieux.

Le plat signature ne tarde pas à suivre. Un œuf mollet infusé au thé, surmonté de crème tahini aux câpres et garni devant nous d’œufs de saumon. À côté, une brioche challah tiède et moelleuse. Le genre d’association qui surprend d’abord, puis émerveille. L’onctuosité de l’œuf, la douceur de la challah, les accents salins et acidulés de la tahini… tout s’accorde dans une harmonie parfaite.

Vient ensuite un filet de barbue, parfaitement cuit, posé sur une crêpe Suzette acidulée, nappé d’un beurre blanc au raifort. Un plat osé, profondément singulier, qui associe le moelleux du poisson à l’acidulé sucré-salé de la crêpe. On joue ici avec les contrastes.

Le dernier plat salé, un pigeon rosé à souhait, se pare d’une sauce hollandaise au zaatar et d’un crumble de tanzia, cette préparation d’inspiration marocaine faite de fruits secs, d’épices et d’aromates confits, qui vient apporter une texture croustillante et parfumée. La carotte, doucement rôtie, dialogue avec la viande dans une partition parfaitement maîtrisée.

Côté sucré, la surprise est totale. En pré-dessert, un riz au lait, accompagné d’un sorbet pomme-estragon et de pickles de concombre, fait office d’interlude frais et végétal. Mais c’est le dessert principal qui restera gravé dans ma mémoire. Une “salade de fruits” totalement réinventée : matpura de tomate, fraise et framboise blanche, sorbet yuzu, citron caviar, crème anglaise à la fraise, le tout lové dans une coque de labné-mascarpone et surmonté d’une tuile de tomate séchée. C’est fou. Beau. Brillant. Une explosion de textures, d’acidité, de crémeux, de croquant.

La dernière bouchée est une signature : une quenelle de mousse au chocolat Saint Domingue 70%, servie avec une huile d’olive de Sicile et une pincée de fleur de sel. Simplement parfaite. Et dans un geste d’une rare générosité, la maison vous propose même d’en emporter un pot pour le lendemain matin.

On termine la soirée comme à Jérusalem, à piocher des fruits frais et des pistaches, en échangeant avec ses voisins, en refaisant le monde. Chez Shabour, on ne vient pas pour un dîner formel, mais pour une expérience totale, une parenthèse suspendue, un moment rare où gastronomie rime avec générosité et célébration. Merci Shabour.

Shabour

19 Rue Saint-Sauveur,

75002 Paris

0

Leave a Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.